Impacts des décisions du HCSF sur le crédit immobilier
Par Nathalie Chauveau
Etats-Unis, 2008, crise des subprimes. France, même époque : stabilité et croissance du marché immobilier. La principale raison ? Une jurisprudence sévère en matière de crédit immobilier, dans laquelle les juges tendaient à débouter les créanciers ayant octroyé des crédits en endettant leurs clients au-delà de 33%.
Mais le taux d’endettement est une simplification de la jurisprudence, un point de repère facile à retenir, derrière lequel se cache une analyse beaucoup plus fine et pertinente.
Pour commencer, deux principaux critères entrent en compte lors de l’évaluation de solvabilité à l’octroi du crédit : le taux d’endettement et le reste à vivre. Si le premier est le plus communément calculé et communiqué, le second est beaucoup plus important en termes de capacité de remboursement. En effet, être endetté à 50% de ses revenus lorsque l’on gagne le SMIC ou 6 000 euros par mois n’a pas le même impact. Dans le premier cas, l’emprunteur avait toutes les chances de voir une action en justice aboutir. Dans le second, pratiquement aucune ; preuve en est des différents jugements Appollonia.
Lorsque le prêteur est en même temps le banquier du client, d’autres critères entrent en ligne de compte pour apprécier la solvabilité de l’emprunteur, tels que l’historique des flux mensuels, ou la comparaison de l’effort de remboursement avec l’effort de location.
Quant à la durée du crédit, elle n’est jamais entrée en ligne de compte dans l’estimation de la solvabilité, sauf lorsque l’échéancier de remboursement dépasse l’âge de la retraite de l’emprunteur. Traditionnellement, les primo-accédants à faibles revenus pouvaient emprunter jusqu’à 30 ans pour maintenir une solvabilité raisonnable, sachant qu’il était de toute façon probable que le crédit soit remboursé de manière anticipée lors d’un changement de situation.
La seule variable d’ajustement de la durée du crédit est le risque pris par les banques, et donc le taux d’intérêt associé.
Tout ceci pour en venir à la décision du HCSF du 29 septembre 2021, qui limite de façon rigide l’endettement à 35% et la durée d’emprunt à 25 ans.
La décision elle-même a été précédée de recommandations, en 2019 et janvier 2021, mais celles-ci faisaient figure de guides de bonne pratique, comme le faisait déjà la jurisprudence. Rendre certains critères obligatoires, ou interdits, sans laisser la place à l’autres critères pertinents, tel a été le coup de massue infligé à la profession bancaire… et le début d’effets pervers significatifs sur le marché du crédit immobilier. Les deux décisions suivantes du HCSF en 2023 n’ayant pas changé le problème de fonds, voyons, avec un peu de recul, les véritables conséquences.
Comme indiqué ci-dessus, la première erreur du HCSF a été de se limiter à deux critères, le taux d’endettement et la durée, dont le second n’a jamais été démontré comme facteur de surendettement. La seconde erreur a été de limiter les dérogations à un pourcentage, réduit, de la production « conforme » aux critères précités.
Si nous faisons une simulation sur un échantillon de ménages légèrement au-dessus des limites du HCSF, mais avec des dossiers acceptables du point de vue du banquier (reste à vivre suffisant, résidence secondaire, endettement acceptable à 30 ans), les impacts par type d’établissement peuvent être évalués comme suit :
- Environ 20% seraient financés par les banques traditionnelles, du fait des différentes limites imposées, dont 6% de résidences secondaires ;
- Moins de 5% seraient financés par les sociétés de financement spécialisées dans les crédits de niche, qui ont peu de production « conforme » à laquelle déroger ;
- Soit 75% d’acquisitions immobilières potentielles rejetées
Si le premier effet de ces décisions, la baisse des prix sur le marché immobilier, a été plutôt bénéfique pour les emprunteurs, il est malheureusement le seul. En effet, la réduction des achats immobiliers a contribué à maintenir les ménages les plus modestes dans la location, dont le prix a lui continué à augmenter. En termes de reste à vivre, leur situation s’est donc plutôt dégradée. En termes d’avenir financier, le maintien en location génère également des situations plus précaires, l’absence de patrimoine à transmettre aux générations futures, et finalement une accentuation des écarts de revenus avec la population des propriétaires.
Or, les banques françaises ont une très longue expérience du crédit immobilier. Elles ne prennent pas de risques inutiles pour le plaisir, et leur donner des directives qui vont à l’encontre de leur expérience du risque est une ingérence peu pertinente.
Alors que peuvent faire les banques ?
Jusqu’à présent, elles sont restées plutôt passives, le taux de dépôt BCE et la courbe des taux inversée ne favorisant pas la prise de risque. Mais les changements s’amorcent, et les temps sont plus propices à un peu d’innovation. Et c’est là que le pas est difficile à franchir, car si le crédit immobilier est une activité historique et maîtrisée, il est rarement une source d’innovation radicale. Il existe pourtant des solutions, telles que dissocier achat et travaux, en particulier lorsque les travaux entrent dans la catégorie de la rénovation énergétique. Il est également possible de jouer sur la durée en introduisant un amortissement progressif et des options de prolongation. Avec des besoins d’expertise pour soutenir l’innovation, c’est le moment pour les départements Risques et Conformité de participer à la résolution des problèmes du métier crédit.
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